Le petit
pou sait !
Au bout d’une table
A la fin d’un banquet,
Les convives conversaient
d’un trait bien détestable...
De celui qu’ont les hommes
A tant s’évertuer
A les exterminer,
A les tuer, en somme.
“Oui pourquoi tant de hain ?”
Dit la mouche dépitée
En buvant son café :
“ça me fait de la peine !”
“Et pourquoi tant de hargne ?”
renchérit le moustique
“Est-ce ma faute si je pique ?
Et bien souvent j’épargne !”
“Pourquoi tant de mépris ?”
Ajouta le cafard :
“Si je pue dans le noir,
Eh ! c’est la faute à qui ?”
Et la mite de poursuivre :
“Si je hante les placards,
Ce n’est pas par hasard,
Mais simplement pour vivre !”
Tous les quatre enfin
Pleurèrent, chacun son tour,
De ce manque d’amour,
De ce triste destin.
“Moi, je sais !” dit une voix.
Dans un coin, tout petit,
N’ayant encore rien dit
Un pou levait le doigt.
“Comment peux-tu savoir
Toi, pauvre gringalet
Minuscule et si laid !”
dit la mite : “Au revoir !”
“Mais je sais !” dit le poux.
“Caché dans les cheveux
J’espionne et quand je veux
Je vois tout, je vous tout !”
“Tu te moques !” dit la mouche
“Tu fais l’intéressant !
Car moi-même en volant
Peut-être que je louche ?”
“Mais je sais !” dit le pou.
“Caché près d’une oreille,
Je suis là, je surveille
Et, à force, j’entends tout !”
“Allons !” dit le cafard,
“Sois gentil et tais-toi
Si nous, on ne sait pas
Comment peux-tu savoir ?”
“Mais je sais !” dit le pou,
“Répondre à votre attente,
A ce qui vous tourmente.
Questionnez ! Je sais tout !”
“Eh bien, nous allons voir”
Persifla le moustique,
“Si le petit poux sait
Nous allons tout savoir...”
“Oui, je sais !” dit le pou
“Je sais pourquoi les hommes
Nuisibles, nous surnomment
Et qu’ils ne sont pas fous !”
“Alors, tenez-vous bien !
Je sais ce que je sais.
Je peux vous le dire, mais
Je ne vous dirai rien.”
Le petit
tronçonneur
Mais quelle est cette rumeur
Qui gronde au fond des bois?
C’est le petit tronçonneur
Qui tronçonne, qui tronçonne.
Dans la sciure et la sueur,
Dans le bruit et la chaleur,
C’est le petit tronçonneur
Qui tronçonne avec ardeur.
Tenant ferme sa mécanique,
Vite s’agrandit la taille.
Le bois cède métallique.
L’arbre choit dans la broussaille.
Jusqu’au jour qui décline,
Sans regret et sans remords,
Il est le roi de la machine
Et le dieu des arbres morts.
Alignant cordes et stères
Il est fort, impitoyable.
C’est le petit tronçonneur
Qui tronçonne, qui tronçonne.
Dans la sciure et la sueur,
Dans le bruit et la chaleur,
C’est le petit tronçonneur
Qui tronçonne avec ardeur.
Quand il arrête sa machine
Essuyant son front brûlant
Buvant un vin de cuisine
Ecoutant le bruit du vent,
Il rêve d’une belle au seins nus
Surgissant des feuillages.
Enchantement convenu
Ou miracle ou présage.
Quand il va à la ville,
On ricane dans son dos
« C’est le petit tronçonneur
Qui tronçonne, qui tronçonn ».
Même la grande Cécile
Chante au milieu des badauds :
C’est le petit tronçonneur
Qui tronçonne avec ardeur.
Il la toise, lui fait reproche.
Je suis petit, et alors ?
Toi qui est grande, approche
Sache que le silence est d’or ?
Mais déjà tu regrettes,
Il faut te faire pardonner.
Monte sur ma Mobylette
Je t’emmène dans la forêt.
Dans la clairière, il la couche.
Elle dit : Tu te crois malin ?
Il met la main sur sa bouche
Et sort son terrible engin.
En quelques coups de maître
Il élague la donzelle,
Ne lui laissant que la tête,
Rien que le tronc et les ailes
Depuis, elle reste là,
Aiguisant la machine
Du petit tronçonneur
Qui tronçonne, qui tronçonne.
Elle est sa moitié, c’est l’a....
C’est l’amour, on le devine,
Pour le petit tronçonneur
Qui tronçonne avec ardeur.
Nom d’une pipe ! je vous le dis
A vous, gens de grande taille :
Ne riez point des petits
De peur qu’ils ne vous taillent
Les oreilles en pointe,
Le nez et le cou sur l’heure.
Priez même les deux mains jointes
De ne pas rire d’un coiffeur.
Levez haut votre chapeau
Oh oui ! dites bien bonjour.
Saluez le tronçonneur
Qui tronçonne, qui tronçonne.
Tant d’outils ont vu le jour,
Tant d’humeurs à fleur de peau,
Souriez au tronçonneur
Qui tronçonne avec ardeur.
Le crime du boucher
Le boucher un beau matin entrouvre les paupières
Alors que la bouchère s’affaire à la salle de bain
Devant la lampe dont la vive lumière
Projette sur le mur un jeu d’ombres incertain.
Un moment amusé par la danse de son corps
Il va se rendormir mais se redresse soudain :
La silhouette qui ondule dans le décor,
N’est pas celle qu’il voit d’ordinaire le matin
Regardant alors avec plus d’insistance,
Se frottant les cils, faisant les yeux ronds
Le boucher doit se rendre à l’évidence :
Voilà la bouchère devenue un cochon.
Vrai que la belle n’est pas des moins légères
Avec ses cent kilos, son mètre quatre-vingt.
Mais de là à prendre cette forme singulière
N’y a-t-il pas de quoi en perdre son latin ?
Pour en avoir le coeur net, il se lève d’un bond,
Et constate que sa femme c’est bien elle
Porte un groin, une queue en tire bouchon.
Alors, lui revient le réflexe du profes-sionnel.
Promesse de viande exquise, de moisson charcutière
Ce porc taillé comme un boeuf et livré à domicile
Mérite une main de maître, une découpe exemplaire.
Ah ! l’abattage clandestin est une loi imbécile !
Taillons vite dans l’échine avant qu’il ne soit trop tard,
De quoi faire un rôti, des saucisses et du boudin,
Des pieds de cochon pur porc et de bonnes tranches de lard,
Et des tripes et des rillettes, et du pâté de lapin.
Il descend chercher son grand couteau à l’office
En aiguise la lame bien creusée par l’usage
Ah ! les belles cochonnailles avec un peu d’épices
Et quatre à quatre il remonte à l’étage.
Sa femme devant la glace se mire et se poudre le nez.
Dans le commerce une bouchère se doit d’être bien mise
Pour bien tenir sa place et bien rendre la monnaie,
Et offrir un sourire en donnant la marchandise.
Un peu de rouge à lèvres, un rien de rose aux joues.
Elle contemple son double et se trouve plutôt belle,
Un peu trop grosse, il est vrai. Mais que dirions nous
D’un bouchère trop maigre et d’un boucher sans bretelles ?
Comme un diable de sa boîte, comme un éclair d’orage
Surgit le mari boucher, dans sa main son grand couteau.
Il se jette sur la bouchère toute à son maquillage
Et plante sa longue lame... dans le blanc du lavabo.
Arrête tes bêtises et ta sale habitude !
Que ferais tu sans moi ? (Que ferait-on sans elles ?)
Car rien n’est plus triste qu’une triste solitude,
Que d’être veuf dans la viande et le sang professionnels.