Fables
 

Ah ! ce cher Jean de La Fontaine ! Quel grand maître des mots ! Combien j’admire cet aimable poète philosophe et son bestiaire exemplaire qui montre nos travers à travers le miroir de ses fables. J’ai d’abord eu l’honneur d’illustrer quelques-unes de ses fables pour les Editions Avant-Seine (Les plus belles fables de La Fontaine), puis je me suis essayé à l’écriture de la fable, exercice délicat, proche de la chanson, où en l’usage de peu de mots choisis, on raconte une histoire, un petit film avec son exposition, sa dramaturgie et sa chute.

L’étroit petit cochon ou le petit cochon trop maigre est une fable que j’ai écrite et illustrée et qui a été publiée par Sylemma-Andrieu/Hachette,  c’est un livre devenu outil “pédagogique”, utilisé par les instituteurs et institutrices de beaucoup d’écoles. Il est hélas aujourd’hui épuisé. Une suite était prévue, mais abandonnée par l’éditeur (?). Aujourd’hui réunies dans un recueil de poésies : Poésies pur porc, elles sont à votre disposition.

 


L’étroit petit cochon


Mère cochon toute ronde,

Un jour, mit au monde

Trois petits cochons roses.

Les jolies petites choses !

La maman fut ravie :

“Oh ! les jolis petits !”


Père cochon fut flatté

D’avoir si belle portée,

Invitant les cochons

A boire à la maison

Un verre, et puis manger,

Faire la fête et danser.


“Il faut bien un prénom

A nos petits cochons”

Dit la mère. Son mari

Les appela Riri

Roro, puis nomma

Le troisième : Petitpas.


“Petit pas ? Drôle de nom !”

Lança maman cochon.

C’est qu’il est si frêle,

Si malingre... une ficelle !”

Répondit le père cochon

Fixant le rejeton.


“Vrai qu’il est bien étroit,

Le plus petit des trois,

Mais avec plein d’amour,

Du bon lait chaque jour,

Il sera vite bien rond”

Dit la maman cochon


Et deux saisons passèrent

Et les jambons des frères

Faisaient l’admiration

De toute la maison.

Oh ! les petits gourmands

Dans l’auge avec les grands !


Petitpas, quant à lui,

Grandissait bien aussi,

Mais restait tout étroit

Bien qu’il mangeât comme trois

En lorgnant l’abreuvoir

Du matin jusqu’au soir.


Et, chose inévitable,

Lui, le premier à table,

Usant de sa minceur,

Se faufilait, rieur,

Entre deux bons gros porcs

Au groin gras grognant fort.


Malgré son appétit,

Il restait tout petit.

Sa mère bien attristée,

Son père désespéré,

Répétaient à l’envi :

“Qu’allons-nous faire de lui ?”


Son astuce, sa différence,

Agaçaient l’assistance,

Déplaisaient à autrui.

Tout au contraire, les truies

Lassées des grosses badernes

Lui trouvaient l’air “moderne”.


Haï par les cochons

Lui lançant des trognons ;

Agressé par les truies

Qui voulaient tout de lui ;

Il vécut un enfer

Jusqu’à un jour d’hiver...


C’est au bout de chemin

Que, très tôt le matin,

Un camion et des hommes,

Et le maître économe,

Vinrent et, en dix secondes,

Emmenèrent tout le monde.


Ils laissèrent pourtant seul

Petitpas, la larme à l’oeil.

“Il est trop maigre encore !

C’est un trop petit porc !”

Cria le paysan,

“Laissons-lui ses parents !”


Et se tournant vers eux :

Vous êtes bien chanceux

D’avoir eu un tel fils

pas plus gros qu’une saucisse

Mais, il vous faut agir !

Je veux le voir grossir !”


Le camion s’éloignait

Et les porcs se moquaient

En riant au éclats

Du pauvre Petitpas,

L’étroit petit cochon

Privé d’un beau voyage...


... Au pays du jambon.


La petite

marchande d’amulettes


Elle s’appelait Baba.

Elle était si légère,

Que le vent du désert,

Un jour, l’emporta.


Si haut... elle s’envola

Quelle traversa la mer

Puis, sur une autre terre

Le vent la déposa.


Baba se retrouva

Ainsi en plein hiver

Dessous un réverbère,

Près du pont de l’Alma.


“Mais que fais-tu donc là”

Dit une voix singulière.

“C’est une vrai glacière

Allez ! viens avec moi.”


Tout en tremblant, Baba

Suivit l’étrangère,

Une femme du Niger

Qui passait par là.


Avec elle elle monta

Jusqu’à son pied-à-terre

Près d’un calorifère,

Baba se réchauffa.


“Tu sais, dit la Mama,

Ici, c’est la misère...

Mes trois filles ont deux frères,

mais n’ont pas de papa.


Si tu veux rester là

En pension journalière,

Voilà ce qu’il faut faire

Pour avoir un repas.


Chaque jour tu vendras

Sur un tissu, par terre,

Amulettes du Niger

Et colliers d’Angola.


Chaque soir tu auras,

Ou du moins, je l’espère,

Si la vente est prospère,

Un bol de chocolat”.”


C’est ainsi que Baba

Dans le froid de l’hiver,

Sous le même réverbère,

Marchande se retrouva.



“Collier de Douala !

Amulette du Niger !

Achetez, c’est pas cher !

Et c’est made Africa !”


Un homme la remarqua.

Un blanc au regard fier.

Sur qu’il était prospère

Car tout il acheta.


Et puis, il avoua :

“Je suis trop solitaire,

Riche et célibataire,

Puis-je être ton papa ? “


Elle sauta dans ses bras

Et ses bras l’embrassèrent.

”Mais la femme du Niger ?

Qu’est-ce qu’elle en dira ?”


“Allons-y de ce pas !”

Lui répondit le père.

Les étages, ils montèrent.

A la porte, il sonna.


Elle ouvrit. il entra

On ne sait par quel mystère

L’homme et la femme tombèrent

Amoureux, patatras !


L’homme blanc et la Mama

Tous deux se marièrent.

La Mama devint sa mère

Et elle eut un papa.


Il adopta baba

Et les soeurs et les frères.

Les enfants de la mère

Sans oublier deux chats.


Et Baba étudia

Elle monta une affaire.

Elle devint milliardaire

Et puis, le temps passa.


Toute surprise est Baba

D’être aujourd’hui grand-mère.

Quant au vent du désert,

Il en reste Baba.




Le rat et le chat





Un matou des villes venu sur ses vieux jours

Avec quelques livres et sa jolie compagne

Goûter aux joies simples du vin et de l'amour,

Respirait l'air vif et doux de la campagne.


Ayant dans les beaux-arts et la philosophie

Fort oeuvré sans pourtant y acquérir  fortune,

Le chat se contentait du meilleur de la vie,

Tout juste fier de quelques gloires opportunes.


Notre chat résolu entamait donc son repos,

Lorsqu'un rat, un beau jour, lui proposa tout de go,

De venir en son château égayer sa solitude,

Changer ainsi le cours de ses habitudes.


Las de sabrer le champagne pour ses amis,

Las de mener pour eux, faste et grand train de vie,

Fatigué de tenir debout son grand tas de pierre,

Le rat rongé d'ennui ne savait plus trop quoi faire.


Naître; une cuillère en or dans la bouche,

Est une chance ! mais naître avec une louche ?

Le rat était de ceux-là en sa province,

Se disant modeste, vivant comme un prince.


Curieux d'être reçu dans ce monde idéal,

Dans le giron secret des soirées provinciales,

La chat accepta sans trop de résistance,

Heureux de faire de nouvelles connaissances.


Il jugea le rat sympathique et sincère.

Toute amitié cache en son sein, d'ordinaire,

Quelque vil intérêt ou intention douteuse,

Mais le chat trouva la proposition flatteuse.


Vivre à la capitale est belle expérience

A qui sait tirer profit de ses connaissances.

A la campagne, l'on mène vie plus austère,

Et plus profonds sont les secrets la terre.


Usant de son charme, usant de son crédit,

Le rat découvrant les oeuvres du chat lui dit :

« Votre talent reste méconnu, c’est un drame !

Il mérite qu'on en ranime la flamme. »    


Touché par cette marque d'estime singulière,

Par cette chance offerte pour le moins cavalière

De son art promu par ce rat bon apôtre,

Le chat vivement remercia son hôte.


Lorsque l'argent ne suffit plus au bonheur,

Pour dissoudre la mélancolique langueur,

Les puissants aiment la présence des artistes,

Protègent l'art, ainsi le feu sacré subsiste.


Le rat, en sa grande bonté, proposa au chat

De subvenir modestement, à ses achats,

A l'amélioration de son ordinaire

En échange de travaux qu'il lui faudra faire.


Il est bienséant de plaire à son bienfaiteur.

Le chat accepta donc avec bonne humeur.

En sa vaste demeure, deux étés et deux hivers,

De se livrer en somme à des travaux divers.


Le temps passe et les travaux s'éternisent.

Le rat lassé sans doute par son entreprise,

Usé par d'interminables affaires de coeur,

Envers notre chat change soudain d'humeur. 


De lui, se fatigue et change d'attitude,

Retrouve le ton du maître que, d'habitude,

Il entretient à l'encontre de ses valets,

Par le jeu retors de reproches réitérés.


Le drôle convainc le chat de ses incompétences

Grâce à ses remarques, à son intransigeance.

Pourra-t-il un jour faire de cet artiste incapable

Un sujet de bon ton, serviteur acceptable ?


Bas le masque du séducteur attentionné !

La rat affiche le visage, désormais,

D'un vieillard maniaque, remonteur de bretelles

Triste compère aux colères de bouts de ficelle.


Supportant tout un temps ce triste théâtre,

Pardonnant au mieux ses assauts acariâtre,

Malgré qu'il eut pour lui amitié et tendresse,   

Le chat se fatigua de ce triste commerce.


Force récriminations et tons désagréables

Venant à bout des patiences les plus fiables,

Las de ses humeurs et manipulations,

Le chat finit par rompre cette relation.


Fi de ses belles promesses d’assistance

Passées à la trappe de l'indifférence

Et son admiration à celle de l'oubli,

Toute aide à son art s'était évanouie.


Le rat fut déçu de si peu de reconnaissance.

Ne l'avait-il pas aimé en lui ouvrant sa porte ?

N'avait-il pas tout fait et le reste pour, en sorte,

Aider ce pauvre diable à trouver subsistance ?


Triste de quitter cet ami transitoire,

Le chat dépité s’en décida de partir

Promettant de ne plus jamais, à l'avenir,

Se laisser embarquer dans ce genre d'histoires.


De ne plus conjuguer service, amitié et art,

Qu'avec des gens clairs, hauts d'esprit et de coeur

Sachant en circonstances faire des choses, la part,

Avec force sourire, douce constance et chaleur.


                                                         


Le petit

pou sait !



Au bout d’une table

A la fin d’un banquet,
Les convives conversaient

d’un trait bien détestable...


De celui qu’ont les hommes

A tant s’évertuer

A les exterminer,

A les tuer, en somme.


“Oui pourquoi tant de hain ?”

Dit la mouche dépitée

En buvant son café :

“ça me fait de la peine !”


“Et pourquoi tant de hargne ?”

renchérit le moustique

“Est-ce ma faute si je pique ?

Et bien souvent j’épargne !”


“Pourquoi tant de mépris ?”

Ajouta le cafard :

“Si je pue dans le noir,

Eh ! c’est la faute à qui ?”


Et la mite de poursuivre :

“Si je hante les placards,

Ce n’est pas par hasard,

Mais simplement pour vivre !”


Tous les quatre enfin

Pleurèrent, chacun son tour,

De ce manque d’amour,

De ce triste destin.


“Moi, je sais !” dit une voix.

Dans un coin, tout petit,

N’ayant encore rien dit

Un pou levait le doigt.


“Comment peux-tu savoir

Toi, pauvre gringalet

Minuscule et si laid !”

dit la mite : “Au revoir !”


“Mais je sais !” dit le poux.

“Caché dans les cheveux

J’espionne et quand je veux

Je vois tout, je vous tout !”


“Tu te moques !” dit la mouche

“Tu fais l’intéressant !

Car moi-même  en  volant

Peut-être que je louche ?”


“Mais je sais !” dit le pou.

“Caché près d’une oreille,

Je suis là, je surveille

Et, à force, j’entends tout !”


“Allons !” dit le cafard,

“Sois gentil et tais-toi

Si nous, on ne sait pas

Comment peux-tu savoir ?”


“Mais je sais !” dit le pou,

“Répondre à votre attente,

A ce qui vous tourmente.

Questionnez ! Je sais tout !”


“Eh bien, nous allons voir”

Persifla le moustique,

“Si le petit poux sait

Nous allons tout savoir...”


“Oui, je sais !” dit le pou

“Je sais pourquoi les hommes

Nuisibles, nous surnomment

Et qu’ils ne sont pas fous !”


“Alors, tenez-vous bien !

Je sais ce que je sais.

Je peux vous le dire, mais

Je ne vous dirai rien.”






Le petit

tronçonneur



Mais quelle est cette rumeur

Qui gronde au fond des bois?

C’est le petit tronçonneur

Qui tronçonne, qui tronçonne.

Dans la sciure et la sueur,

Dans le bruit et la chaleur,

C’est le petit tronçonneur

Qui tronçonne avec ardeur.


Tenant ferme sa mécanique,

Vite s’agrandit la taille.

Le bois cède métallique.

L’arbre choit dans la broussaille.

Jusqu’au jour qui décline,

Sans regret et sans remords,

Il est le roi de la machine 

Et le dieu des arbres morts.


Alignant cordes et stères

Il est fort, impitoyable.

C’est le petit tronçonneur

Qui tronçonne, qui tronçonne.

Dans la sciure et la sueur,

Dans le bruit et la chaleur,

C’est le petit tronçonneur

Qui tronçonne avec ardeur.


Quand il arrête sa machine

Essuyant son front brûlant

Buvant un vin de cuisine

Ecoutant le bruit du vent,

Il rêve d’une belle au seins nus

Surgissant des feuillages.

Enchantement convenu

Ou miracle ou présage.


Quand il va à la ville,

On ricane dans son dos

« C’est le petit tronçonneur

Qui tronçonne, qui tronçonn ».

Même la grande Cécile

Chante au milieu des badauds :

C’est le petit tronçonneur

Qui tronçonne avec ardeur.


Il la toise, lui fait reproche.

Je suis petit, et alors ?

Toi qui est grande, approche

Sache que le silence est d’or ?

Mais  déjà tu regrettes,

Il faut te faire pardonner.

Monte sur ma Mobylette

Je t’emmène dans la forêt.


Dans la clairière, il la couche.

Elle dit : Tu te crois malin ? 

Il met la main sur sa bouche

Et sort son terrible engin.

En quelques coups de maître

Il élague la donzelle,

Ne lui laissant que la tête,

Rien que le tronc et les ailes


Depuis, elle reste là,

Aiguisant la machine

Du petit tronçonneur

Qui tronçonne, qui tronçonne.

Elle est sa moitié, c’est  l’a....

C’est l’amour, on le devine,

Pour le petit tronçonneur

Qui tronçonne avec ardeur.


Nom d’une pipe ! je vous le dis

A vous, gens de grande taille :

Ne riez point des petits

De peur qu’ils ne vous taillent

Les oreilles en pointe,

Le nez et le cou sur l’heure.

Priez même les deux mains jointes

De ne pas rire d’un coiffeur.


Levez haut votre chapeau

Oh oui ! dites bien bonjour.

Saluez le tronçonneur

Qui tronçonne, qui tronçonne.

Tant d’outils ont vu le jour,

Tant d’humeurs à fleur de peau,

Souriez au tronçonneur

Qui tronçonne avec ardeur.




Le crime du boucher



Le boucher un beau matin entrouvre les paupières

Alors que la bouchère s’affaire à  la salle de bain

Devant la lampe dont  la vive lumière

Projette sur le mur un jeu d’ombres incertain.


Un moment  amusé par  la danse de son corps

Il va se rendormir mais se redresse soudain :

La silhouette qui ondule dans le décor,

N’est pas celle qu’il voit d’ordinaire le matin


Regardant alors avec plus d’insistance,

Se frottant les cils, faisant les yeux ronds

Le boucher doit se rendre à l’évidence :

Voilà la bouchère devenue un cochon.


Vrai que la belle n’est pas des moins légères

Avec ses cent kilos, son mètre quatre-vingt.

Mais de là à prendre cette forme singulière

N’y a-t-il pas de quoi en perdre son latin ?


Pour en avoir le coeur net,  il se lève d’un bond,

Et constate que sa femme c’est bien elle

Porte un groin, une queue en tire bouchon.

Alors, lui revient le réflexe du profes-sionnel.


Promesse de viande exquise, de moisson charcutière

Ce porc taillé comme un boeuf et livré à domicile

Mérite une main de maître, une découpe exemplaire.

Ah ! l’abattage clandestin est une loi imbécile !


Taillons vite dans l’échine avant qu’il ne soit trop tard,

De quoi faire un rôti, des saucisses et du boudin,

Des pieds de cochon pur porc et de bonnes tranches de lard,

Et des tripes et des rillettes, et du pâté de lapin.


Il descend  chercher son grand couteau à l’office

En aiguise la lame bien creusée par l’usage

Ah ! les belles cochonnailles avec un peu d’épices

Et quatre à quatre il remonte à l’étage.


Sa femme devant la glace se mire et se poudre le nez.

Dans le commerce une bouchère se doit d’être bien mise

Pour bien tenir sa place et  bien rendre la monnaie,

Et offrir un sourire en donnant  la marchandise.


Un peu de rouge à lèvres, un rien de rose aux joues.

Elle contemple son double et se trouve plutôt belle,

Un peu trop grosse, il est vrai. Mais que dirions nous

D’un bouchère trop maigre et d’un boucher sans bretelles ?


Comme un diable de sa boîte,  comme un éclair d’orage

Surgit le mari boucher, dans sa main son grand couteau.

Il se jette sur la bouchère toute à son maquillage

Et plante sa longue lame... dans le blanc du lavabo.


Arrête tes bêtises et ta sale habitude !

Que ferais tu sans moi ? (Que ferait-on sans elles ?)

Car rien n’est plus triste qu’une triste solitude,

Que d’être veuf dans la viande et le sang professionnels.