G. M. G Baur

 
 
 

  La lettre d’amour




Cette lettre a reçu le prix Angalis de La Poste, Prix de la plus belle lettre d’amour, d’humour et d’humeur. Les éditions La Farandole m’ont proposé d’illustrer ce texte pour en faire un livre pour les enfants. J’ai réalisé les illustrations et le livre est paru. La maison d’édition a disparu et l’album est épuisé. Il est devenu un collector.





           

Mon Oiselle,


Je prends ma meilleure plume, je la taille, je l’affûte, pour t’écrire ces quelques mots d’amour...


Ma tendre colombe, je vais... Ah ! cette plume ne marche pas... j’en prends une autre... Aie !... je la taille je l’affûte pour t’écrire ces quelques mots d’amour...


Mon petit colibri.... depuis ton départ, je tourne en rond dans ma cage et je.... Cette plume n’est pas meilleure que la première... J’en prends une autre. Ouille ! Je la taille, je l’affûte pour t’écrire ces quelques mots d’amour...


Ma délicieuse petite perruche, je n’ai plus d’appétit et rien que de casser la graine seul me lève le cœur. Mon cœur s’envole vers toi si haut, si... Bon sang ! que cette plume est mauvaise !... J’en arrache une autre... Aie ! Je la taille, je l’affûte pour t’écrire ces quelques mots d’amour...


Ma tourterelle, je guette par la fenêtre ton retour, le frémissement de tes ailes, la musique de ton chant, la.... décidément, mes plumes ne valent plus rien depuis que tu es partie... J’en arrache une autre... Ouille ! Je la taille, je l’affûte pour t’écrire ces quelques mots d’amour...


Ma blanche hirondelle, la douceur de ton duvet me manque et j’ai perdu le sommeil à trop t’attendre : je me fais du mouron pour toi... Où es-tu à cette heure ? Je t’en prie..... Ça y est ! encore une plume écrasée ! J’en arrache une autre... Je la taille, je l’affûte pour t’écrire ces quelques mots d’amour...


Ma tendre pie volage... Quand tu reviendras, je serai là à t’attendre, les ailes déployées. Maintenant, c’est vrai... ma queue est un peu dégarnie mais je suis toujours le drôle d’oiseau que tu aimais tant...

Voilà, je t’envoie cette lettre tout de suite. Pour les suivantes, je crois que j’utiliserai un bon stylo car je risque de m’enrhumer.


                                                       

                                                       Ton pigeon qui t’aime.






Lettre de Cyrano à Roxanne







Roxanne,


Il m'est venu l'envie de vous écrire

Pour vous parler d'un peu de belle astronomie,

D'une chose dont je tiens à vous entretenir

Et qui saura vous plaire, je l'espère, ma mie.


Il est dans le ciel un astre à l'éclat si pur

Qu'il oblige la lune à baisser la paupière.

Sa clarté est si grande qu'elle embrase l'azur

Et chasse les ténèbres aux coins de l'univers.


Sa lumière m'éclabousse, m'éclaire, m'inonde.

Elle entre par mes yeux traversant mes paupières,

Illumine mes veines jusqu'à la plus profonde

Et transperce mon cœur bien mieux qu'une rapière.


Oh ! cette brûlure est pleine d'une douleur

Qui ferait à quiconque plier bas le genou,

Embraserait son âme, l'emporterait sur l'heure.

Mais, pour moi, jamais, tourment ne fut plus doux.


Cette flamme unique qui, je le sais, me consume

Me tuerait d'un coup si elle venait à s'éteindre.

Elle est comme un soleil irradiant dans la brume.

Comment trouver les mots pour mieux la dépeindre ?


Vous allez à lire mes vers me trouver un peu fou.

Il conviendrait, pour sûr, que je les déclamasse...

Et que l'air parfumé emportât jusqu'à vous

Ces quatrains enflammés, pluie d'étoiles dans l'espace.


Etoiles ! soleil ! lune ! Copernic ! Ptolémée !

Fi des métaphores ! Fi des astronomes !

Roxanne, je vous aime. Dites que vous m'aimez

Et vous ferez de moi le plus heureux des hommes.


Oh oui, je vous aime et j'aime tout de vous,

Vos yeux plein de lumière et vos longs cheveux d'ange

Qui dansent sur vos épaules et caressent votre cou.

Et votre jolie bouche déjà, je la mange...


Oh ! pardonnez, Roxanne, mon vif emportement.

Je devrais vous le dire avec bien moins d'ardeur,

Retenir l'attelage fol de mes sentiments,

Mais c'est pour mieux cacher que je tremble de peur.


Je vous ai vue, hier, caché dans l'arrière cour.

Vous regardiez la nuit de votre fenêtre.

Comme vous resplendissiez, mon étoile, mon amour.

Oh ! comme vous emplissiez de vie tout mon être.


Pardonnez mon audace, pardonnez-moi encore.

Il me fallait Roxanne, vous ouvrir grand mon cœur,

Vous déclarer la flamme qui me brûle le corps.

Rendez-vous dans la cour, jeudi soir, à huit heures.


                                                             

                                                              Votre Cyrano.






Lettre de Mr Hyde à Dr Jekyll




Mon cher Jekyll,


Je n’ai pas, hélas, beaucoup de temps pour vous écrire car mes heures sont brèves, vous le savez et d’autant mieux que vous vous octroyez la plus grande part de nos si précieuses journées ; vous, cher autre moi-même, qui vous prenez pour le soleil du monde et me reléguez au rang de vos lunatiques obsessions ; vous qui prétendez à la légitimité de votre personnalité et me désignez comme votre déraison, comme si j’étais votre envers, votre enfer, votre démon, honteuse et ignominieuse part de notre inconscient. Et, bien sûr, lorsque vous reprenez le pouvoir sur notre corps commun, vous faites l’étonné, vous jouez les amnésiques. Cela vous va bien, vous qui vous piquez de psychiatrie...

Alors sachez, mon beau revers, que je ne suis pas votre ombre noire mais que c’est vous qui êtes mon envers, ma déraison, ma perversion, ma honte. Vos bonnes intentions me confondent... Vouloir soulager le monde de ses maux, les gens de leur douleur ! Laissez-moi rire !  Comme cela est stupide !... et comme cela est vain ! Comment pouvez-vous passer votre temps à de si piètres occupations, à de si singulières niaiseries ? L’homme est né pour souffrir et faire souffrir ! Aller à l’encontre de ce constat, c’est offenser notre Créateur ! La vie est une jungle où les prédateurs sont rois ! Et vous, le bellâtre londonien qui fréquentez la gentry, qui portez des toasts avec de gras marchands de canons et autres politiciens embourbés, vous vous prétendez juste et bon ? Aller jusqu’à prétendre que la science pourrait sauver le monde, contribuer au bonheur des hommes et agir pour le bien de tous : fadaises ! enfantillages !

Seul le mal est jouissif, délicieusement gustatif. Ah ! que n’avez-vous goûté aux joies de la strangulation, au frétillement d’une éventration bien menée, à saisir dans le regard de l’autre assassiné l’effroi grandiose de son face à face avec la mort. Comprenez : notre vie prend un sens d’autant plus jaillissant que le gouffre qu’embrasse le regard est plus profond. Quel délice de professer la haine et d’assister aux atrocités commises en son nom. La guerre n’est-elle pas le plus grandiose des spectacles ? Je pense à mon maître le doux Néron composant des vers devant Rome en flamme et crucifiant à tout va, à Adolphe industrialisant la monstruosité avec une telle détermination...

A la fin du deuxième millénaire, je constate avec joie que l’entreprise maléfique se développe avec célérité. Fort des avancées de votre science, cher docteur, les apprentis dictateurs ne manquent pas et s’essaient partout à travers le monde. Hier encore, en quelques contrées d’Asie et d’Amérique du Sud; aujourd’hui, en Afrique et jusque dans les Balkans, l’horreur se banalise enfin et engendre l’horreur. Les victimes, loin d’accuser leurs propres  bourreaux, rejettent la responsabilité de leur maux sur les bons, les doux, les gentils, les secoureurs animés de bons sentiments... Quelle délectation !

Vous voyez, mon cher docteur, vous vous rétrécissez comme peau de chagrin. Imperceptiblement, inéluctablement, je vais prendre toute la place. Ne sachant plus où vous mettre, il ne vous restera qu’à vous soumettre, vous démettre ou périr. Allons ! ne craignez rien. J’ai, malgré ma belle et sainte haine, du sentiment pour vous et, si j’avoue avoir la folle envie de vous faire taire à jamais, je saurai prendre sur moi et me retenir. Où serait sans vous la mesure de ma déraison ? Cette mesure, c’est vous, cher docteur. Qu’est-ce qu’un bourreau s’il n’a point de victime ? Nous sommes hélas condamnés à la coalescence. Abel et Caïn dans le même sein. Je suis votre hôte, soyez le mien.

Mais je vois que déjà vous sortez de votre sommeil. Vous allez dans un instant reprendre la place et pousser l’impertinence jusqu’à vouloir une fois de plus m’ignorer. Cette hautaine distance m’exaspère et je saurai bien un jour vous la faire payer... cher.

Pour l’instant, je m’efface, me recule et vous laisse la place. Juste le temps de vous saluer. Good bye mon cher docteur...



                                                                      Votre Hyde



 

       Lettres chaudes

         et atrabilaires


J’ai écrit des lettres d’amour et d’humeur, lettres impossibles compte-tenu des correspondants choisis. Ces échanges épistolaires son réunis dans un recueil intitulé “Lettres chaudes” et qui attend son éditeur. Je présente ici quelques-unes de ces lettres.